Une grande partie de mon enfance à Frankfurt en Allemagne, je l'ai vécu avec ma mère dans un studio de 12m2. Il n' y avait pas vraiment beaucoup d'espace, même si je n'ai jamais ressenti ni manque, ni notre pauvreté. Ma mère m'a préservé de toutes les difficultés de la vie. Est-ce un bienfait ou non? La question n'est pas là, je ne suis pas ici à écrire un traité d'éducation, mais juste à me souvenir, et aussi à en être remerciant de tout ce que j'ai reçu. Ma mère a tenu à me donner tout ce qu'elle pouvait en éducation, culture, arts ... et amour.

Comme je le disais, nous n'avions pas beaucoup de place à la maison. Ainsi ma vie se passait dehors. Pas à traîner les rues, mais à fréquenter des lieux de culture. Je passais un grand nombre d'après-midis dans les biobliothèques. Les librairies étaient une sortie familiale préférentielle. Un des jeux favoris était de parcourir les livres dans les rayons, afin de se faire une vue globale de ce qu'il y avait, alliant diversité de sujets et d'auteurs. Je prenais un livre, je m'asseyais par terre, je lisais, des heures durant. Nous n'avions pas de télévision, mais allions au théâtre, aux concerts, opéras, expositions, et le dimanche était une habituelle séance de cinéma pour enfants.

Adolescent, à Bruxelles, mes axes d'intérêt avaient certes évolué, allant du classique vers le Rock, le jazz, le freejazz, la chanson, ensuite la danse et les Arts en général. J'étais membre assidu de la médiathèque de musique, des librairies et de tous les lieux de culture: le Palais des Beaux-Arts, Forest National qui accueillait tous les grands groupes de musiques Rock (Led Zeppelin, The Who, Rolling Stones ...) ainsi que les créations de Béjart, mais aussi l'amphithéatre de l'Université, qui se transformait régulièrement en lieu de concert. Certains bars étaient des petites scènes pour musiciens et chanteurs émergeants. Bruxelles était la plaque tournante de toutes les musiques, de toutes les créations artistiques. Les lieux underground qui germaient par-ci par-là... Plan K, Halles de Schaerbeek ... en étaient au début de leurs histoires qui encore aujourd'hui font partie de la très importante scène culturelle belge.

Cela m'a appris l'importance des lieux, de ce qu'ils détiennent, de ce qu'ils nous offrent, quand nous les écoutons. Les lieux sont particuliers … tout devient possible.

Après mon émancipation professionnelle d'Anne-Marie, las de composer et de réaliser de la musique dans ma chambre à coucher, je ressens le besoin d'espace, ce qui m'amène tout naturellement à investir des lieux. D'abord un garage que j'ai transformé en atelier de travail, ensuite un grand espace d'une maison vigneronne d'un ami très proche, Claude, dont j'ai fait mon studio d'enregistrement. Le besoin de mélanger musiciens et danseurs m'amène ensuite, après de longs pourparlers avec l'Evêché, à investir en 2000 LaChapelle, une église des années 68 désacralisée à ma demande, au coeur d'un territoire gitan à Montpellier. D'un projet de lieu de travail personnel, j'ai vite pris conscience que ce lieu demandait un projet d'une autre envergure, ouvert sur son quartier d'implantation. Un lieu qui amène artistes, publics, habitants du quartier, de tout age, de toute origine, à se rencontrer, à se mélanger au service de l'Art, de la culture. Un lieu avec un projet éducatif qui s'ouvre aux enfants à partir de 3 mois, un lieu dédié à l'expérimentation artistique, aux artistes, aux humains amenés à vibrer et se questionner ensemble.

Ce projet fabuleux a pris fin suite à une décision politique, des enjeux d'ego et de sape organisée, après 16 années d'activité et de devenir. La mise en terre de ce projet m'a rendu ma liberté. Je m'étais chargé de le mener, de le rendre viable, de le porter à bout de bras. Ce fut un deuil, mais également un soulagement d'y mettre fin. Je suis très fier que ce lieu existe toujours et soit devenu un théâtre. Je peux être fier de moi, je laisse derrière moi au moins une réalisation qui a du sens: un lieu artistique, un théâtre. Il a été inauguré sans qu'on m'y ait convié. J'en ai été attristé.

Mettre le point final au projet LaChapelle a été long et difficile. Tout démonter, ranger, trouver des lieux de stockage pour tout le matériel qui dans la réalité m'appartenait en nom propre. J'ai ainsi prêté des lumières et du son à un lieu de théâtre, la Bulle Bleue, qui porte un projet pour des jeunes en situation de handicap.

Quelques années après la fermeture de la Chapelle, me laissant convaincre et accompagné de 2 amies très proches, Rachel et Julie, j'ai introduit une demande à la mairie pour la mise à disposition d'un local destiné à devenir un atelier d'art. Ainsi est née [ES] ArtFactory, que je nomme la Factory.

La Factory est un atelier-galerie-salon artistique. C'est un lieu ouvert aux possibles artistiques, aux rencontres, aux performances, aux concerts… S'y tient une scène ouverte de poésie, régulière, une rencontre autour de textes, une autre destinées à échanger autour de thèmes de réflexion. C'est surtout un lieu qui vit au rythme des battements de coeurs des personnes qui y passent presque journalièrement, afin de se retrouver autour d'un thé, et trouver une connivence, une bienveillante et créative tribu ...

La Factory est aussi le lieu où je me permets de partager mes œuvres en cours, où je me questionne sur les lignes artistiques qui m'habitent, où je laisse voir une partie de mon intime à ceux et celles qui ont envie d'apercevoir.